Le soleil rayonnait gaiement sur la basse-ville en cette fin d’hiver, tandis que les habitants vaquaient à leurs occupations en un brouhaha infernal. Partout les odeurs se mêlaient pour former d’étranges flagrances au gré desquels les passants se laissaient porter. Tantôt c’était le parfum du safran qui attirait quelques ménagères alléchées tandis que l’instant d’après de douces effluves d’alcool réunissaient les hommes autour d’un stand pour profiter d’une dégustation très subjectivement méritée. L’humeur était en général plutôt joyeuse alors que l’orbe solaire approchait de son zénith. Le ciel lui-même s’étalait comme victorieux au-dessus des têtes, dégagé de tout nuage qui aurait pu venir ternir sa robe au bleu pastel de leur blanc malicieux.

D’un coup d’épaule Shuu parvint à se dégager du flot humain qui se déversait dans la grande rue. On était mercredi, jour du marché. Il n’était pas étonnant qu’une telle foule soit de sortie. Le jeune anti-impérialiste jouait d’ailleurs beaucoup sur ces journées « d’exception » pour planifier les opérations les plus risquées qu’entreprenait son groupe. La foule était un allié de poids pour disparaître aux yeux des regards indiscrets. Et un ennemi de taille lorsqu’il s’agissait de se rendre rapidement d’un point à l’autre de la ville…

Après quelques minutes de marche dans un dédale de rues et d’escaliers, il finit par s’engager dans une venelle étroite. L’ombre des bâtiments environnants venait rafraîchir l’air en une légère brise qui le fit frissonner. Nombreux étaient les habitants à craindre de s’aventurer en de tels endroits. La Cité était grande et le chemin pour retrouver son foyer pouvait s’avérer difficile à récupérer une fois perdu. Bien moins fréquentée, seuls quelques rats semblaient encore accepter de s’hasarder dans cette partie de la ville, accompagnés de leurs compagnons humanoïdes. Des haillons recouvraient leur corps émacié, noirci par la saleté, telle une seconde peau protégeant non plus du froid mais des regards importuns. Si les habitants des hauteurs ne manquaient de rien, la pauvreté s’avérait être grande dans la basse-ville. Rares étaient les individus à ne jamais avoir été témoin de ce genre de scènes, même si alors on préférait détourner le regard de cette trop triste fatalité. Car il fallait du courage pour accepter cette réalité ; un courage que bien trop avaient perdu sous les coups des molosses composant l’armée du tyrannique Gorth.

Finalement le soleil vint à nouveau déposer ses rayons bienveillants sur le visage de Shuu alors qu’il débouchait sur une large cour, laissant dans son dos les ténèbres de la ville. Il n’avait jamais eu peur de s’y risquer. Même dans l’obscurité la plus totale le chemin du retour ne pouvait lui échapper. Il connaissait les plans de la ville presque comme sa poche, ou tout du moins une bonne partie.
C’est sur ces pensées qu’il arriva enfin à destination. Le bruit répété du marteau sur l’enclume, l’odeur de la sueur ainsi que la chaleur qui se dégageait du bâtiment lui apprirent qu’il ne s’était guère trompé d’endroit. Il s’approcha de la forge pour s’arrêter dans l’entrebâillement de la porte.